Devoir de mémoire, de vérité, de justice et de vigilance

Allocution d’Ibuka-Mémoire et Justice par M.Gakumba Hangu Albert

Cérémonie Commémorative du 07/04/2006 à l’Ambassade du Rwanda à Bruxelles.

Distingués Invités, Mesdames, Mesdemoiselles et Messieurs,

Qu’il me soit permis tout d’abord de vous remercier pour votre présence, votre solidarité et votre soutien en cette période de la 12ième commémoration du génocide des Tutsi commis au Rwanda par le Hutu Power et ses complices.

Comme vous ne l’ignorez pas, il y a 12 ans plus d’un million de personnes ont été rayées de la carte en 100 jours pour la simple raison d’être nées Tutsi. Bébés, enfants en bas âge, jeunes gens, hommes, femmes- sans distinction aucune- ont été massacrés pour le simple fait d’être nés Tutsi…simplement pour ce qu’ils étaient. Nous n’oublions pas bien sûr en ce moment toutes les autres victimes non tutsies, assassinées parce qu’elles constituaient un obstacle à la volonté d’extermination des Tutsi…

Au moment où le Rwanda tâche péniblement de renouer les fils de son tissu social, où l’on exhume chaque jour encore des milliers de corps mutilés des fosses communes et des latrines, au moment où des restes des victimes du génocide des Tutsi, massacrées toutes pour ce qu’elles étaient, jonchent encore les mille collines du Rwanda ; au moment où la détresse de certains rescapés est incommensurable et indicible à cause de leur persécution et de leurs assassinats dans le contexte des procès Gacaca ; au moment où une offensive médiatique de négation et de révision du génocide est à l’œuvre dans certains pays qui se prétendent pourtant garants des droits humains ; au moment où la profanation du mémorial du génocide des Tutsi se déroule dans une des communes qui héberge cette ambassade, dans l’indifférence et l’impunité de la communauté belge et internationale exactement comme lors de l’extermination des Tutsi il y a 12 ans dans notre cher et beau pays ; au moment où se font jour des doubles langages, pour des raisons inavouables, des amalgames de toutes sortes (amalgames entre victimes du génocide des Tutsi et des massacres ou des assassinats de Hutu, victimes de guerres ou de conséquences des guerres etc…) pour minimiser ou banaliser le génocide des Tutsi, il y a lieu de craindre une tentative ou une préparation ou une incitation de répétition de l’irréparable ou de l’innommable.

Quelles leçons peut-on tirer de tout cela ?

La première réside en ceci : le génocide des Tutsi n’est pas encore terminé et l’esprit génocidaire est encore en œuvre et va croissant.

Mais c’est parce qu’on les laisse faire (c’est la deuxième leçon) que les massacreurs ou les génocidaires commettent leurs forfaits. La passivité, le manque de volonté politique, la croyance des bourreaux à l’impunité, voilà les maîtres-mots de cette situation macabre. Comme durant la période d’avril à juillet 1994 tout est réalisé au vu et au su de la communauté internationale, dans l’indifférence de la communauté internationale .

La tentative de faire oublier ou de nier l’évidence, on le sait, est chevillée à l’acte de génocide. Probablement parce qu’en posant un tel acte éminemment inhumain, le psyché de l’auteur se sent en porte-à-faux avec l’humanité et avec toutes les valeurs acquises qui permettent de continuer à vivre. En massacrant son semblable pour ce qu’il est, il se massacre en fait lui-même et cherche une issue pour en sortir en niant les forfaits qu’il vient de commettre.

Le message d’Ibuka-Mémoire et Justice est le suivant :

Le devoir de mémoire ne consiste pas à diaboliser ou à culpabiliser tout un groupe social mais à dénoncer la passivité des pouvoirs, à exiger la non impunité pour les criminels, les coupables, et les complices, à exiger la justice et la reconnaissance pour les victimes mortes ou survivantes. Et tout cela pour que la coexistence ou la cohabitation, à défaut de la réconciliation, soit possible dans le présent, le proche avenir et le futur lointain, pour qu’une récidive de cette monstruosité inhumaine ne soit plus possible.

Comme le génocide est un crime contre l’humanité (c’est le crime des crimes contre l’humanité), chacun de nous devrait se sentir investi d’un devoir au niveau juridique et au niveau moral. Le génocidaire atteint le corps de l’humanité ; en principe c’est ce corps entier qui est meurtri, amputé et en souffre, mais c’est ce même corps qui doit se guérir et trouver des moyens de défense contre cette ignominie. La responsabilité de chacun d’entre nous comme citoyen et la responsabilité des Etats sont à engager pour réprimer et prévenir tout acte de génocide.

Ibuka (mot kinyarwanda qui se traduit en français par Souviens-toi) n’a point d’autre visée, d’autre impératif. Quand l’humanité est atteinte, il est du devoir de chaque humain de se souvenir, de s’en guérir et de rester vigilant à tout moment en vue de créer un monde plus humain et d’éloigner si possible à jamais la récidive de « cette flétrissure de l’humanité ». C’est dans cette optique que Ibuka vous convie tous et toutes à lutter sans relâche en visant plus de dignité humaine, plus de vérité, plus de vigilance, de justice et de mémoire pour les victimes du génocide des Tutsi…

Gakumba Hangu Albert

Coordinateur Ibuka-M&J de la 12ième Commémoration du génocide des Tutsi.