Bref rapport sur le Colloque d’IBUKA ASBL Justice et Mémoire : Colloque tenu ce 26 mars 2018

COLLOQUE DU 26 MARS 2018

PENALISATION DE LA NEGATION DU GENOCIDE DES TUTSIS :

OBSTACLE A LA LIBRE EXPRESSION ET A L’ECRITURE DE L’HISTOIRE ?

Ouvert par DEO MAZINA, Président de l’ASBL IBUKA Justice et Mémoire, sous le haut patronage de Louis MICHEL, Ministre d’État et Député européen, s‘est tenu un colloque, dans les enceintes du Parlement belge, ce lundi 26 mars 2018.

Le thème générique du colloque était, pour le titre « PENALISATION DE LA NEGATION DU GENOCIDE DES TUTSIS » et, pour le sous-titre : « OBSTACLE A LA LIBRE EXPRESSION ET A L’ECRITURE DE L’HISTOIRE ? »

On aura, dès l’entrée en matière, noté la modalité interrogative du thème générique global du Colloque. La question ainsi posée par le thème générique devait se décliner en deux grandes salves ou à travers deux panels, pour la contribution aux éléments de réponse.

Première grande salve des interventions ou PREMIER PANEL :

La pénalisation de la négation des génocides                                                    

Deuxième grande salve des interventions ou DEUXIEME PANEL :

La pénalisation de la négation des génocides dans son rapport à la réconciliation, à la libre expression et à l’écriture de l’histoire

Procédons dans l’ordre :

Première grande salve des interventions ou PREMIER PANEL :

La pénalisation de la négation des génocides

Sous la modération de Me Grégoire JAKHIAN, qui a donné l’éclairage théorique et pratique sous le double rapport juridique et judiciaire, la première salve ou le premier panel a d’abord vu l’intervention d’un Avocat du barreau de Bruxelles, ancien Président du Comité des Arméniens de Belgique, à savoir Me Michel MAHMOURIAN. L’Avocat a fait le point sur l’état actuel de la question sur la loi pénalisant le négationnisme des génocides et présenté les outils à disposition. Les génocides sur lesquels nous a ramenés son regard sont la Shoah, le génocide des Arméniens, et le génocide des Tutsis.

Après avoir procédé à un rappel de la loi de 1995 et de ses suites légales, Me Michel MAHMOURIAN a évoqué la proposition de loi portée par G. Foret, en comparant ledit projet de loi avec la loi de 1995, d’une part et, d’autre part, avec la proposition de loi d’Olivier MAINGAIN, qui va dans le même sens.

Me Michel MAHMOURIAN a, par ailleurs, procédé à l’évaluation des chances de la proposition de devenir une loi. Il a, enfin, attiré l’attention des panelistes et des participants sur la prévention du négationnisme, en référence à une idée en vogue : l’idée qui veut que ceux qui ne veulent pas d’une loi prétendent qu’il suffit d’enseigner.

Le deuxième intervenant dans la première salve ou dans le premier panel a été Pierre Galand.   L’intéressé a planché sur les moyens mis en œuvre à l’effet de la perpétration du génocide des Tutsis, à la lumière du contexte économique et politique prévalant au Rwanda, à l’époque des faits. Détournements de fonds, complicité internationales dans le financement et dans l’importation du matériau du génocide, complicités incluant jusqu’à des autorités morales…

De là vient la nécessité de repenser droit et justice, en référence à la matrice de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. De là vient également la nécessité, absolue, de repenser la coopération Nord-Sud, au regard du fiasco qu’incarne ou que matérialise le génocide des Tutsis. Il y a là un aspect à ce jour encore inaperçu, que force est d’explorer.

Prenant le relais de ses deux devanciers, le troisième intervenant, Me André Martin KARONGOZI a, dans la substance, fondé en raison, puis en droit, le titre et le sous-titre du Colloque, par « La qualification des faits : une des armes pour combattre la négation des génocides. » Sur un autre plan, Me André Martin KARONGOZI a révélé les manœuvres négationnistes qui entourent la nouvelle proposition de loi et les pièges tendus par l’adversaire. Son intervention aura, en préambule, renvoyé à la perspective historique qui, de proche en proche, sur la longue durée de la période coloniale et postcoloniale, a conduit au processus du génocide en cause.

Deuxième grande salve des interventions ou DEUXIEME PANEL :

Sous l’égide du modérateur Ernest SAGAGA, dont les remarques préliminaires ont jeté comme une sorte de lumière sur les actions oratoires attendues, la deuxième salve ou le deuxième panel a vu la synergie de trois interventions. L’éclairage du modérateur aura conduit à l’introduction ci-après, concernant cette deuxième session du colloque :

Le thème de cette séance, qui portait sur la pénalisation de la négation des génocides, dans son rapport à la réconciliation, à la libre expression et à l’écriture de l’histoire’ touche aux trois aspects du génocide, à savoir :

  1. L’aspect judiciaire : le génocide, comme crime, est puni par la loi, pour rendre justice aux victimes ; et la meilleure forme de justice, pour les victimes, est la reconnaissance, par tous, du crime perpétré contre elles. On ne pourrait punir le crime, et ne pas sanctionner la négation dudit crime ;
  2. L’aspect historique : le génocide est une tragédie qui marque et impacte l’histoire d’un peuple, d’un pays, d’une époque ;
  3. L’aspect de la libre expression : l’information est un brouillon de l’histoire de ce génocide (dans la mesure où il s’agit d’une information basée sur les faits, donc sur la vérité).

C’est donc de ce ‘’ triangle justice, histoire et libre expression’’ qu’auront traité les trois interventions qui suivent :                                         

  1. La pénalisation de la négation du génocide des Tutsis au Rwanda, son impact sur la réconciliation, la libre expression et l’écriture de l’histoire. Par Dr Jean Damascène Bizimana.
  2. La pénalisation de la négation du génocide des Tutsis à la lumière de la Décision-cadre de l’Union européenne contre le racisme et la xénophobie. Par Dr Vincent DEPAIGNE.
  3. La pénalisation, en France, de la négation du génocide des Tutsis, et sa relation avec la libre expression et l’écriture de l’histoire. Par le Professeur Frédéric Encel:

Reprenons les axes ou les pistes sous le signe desquels a été placé l’éventail thématique susmentionné. Dans le cadre du thème générique global que l’on connaît désormais, sous le rapport du premier thème spécifique sur « La pénalisation de la négation du génocide des Tutsis au Rwanda, son impact sur la réconciliation, la libre expression et l’écriture de l’histoire », Dr Jean Damascène BIZIMANA s’est focalisé sur :

  1. 1. Un constat : des conditions précises ont rendu le génocide possible. Citons-en deux, qui y ont particulièrement présidé : A. La culture de l’impunité, qui a couru de 1959 à 1994. B. Avant 1994, aucun texte n’existait, qui sanctionne l’idéologie de la haine.
  2. Un postulat: Le négationnisme est indissolublement, consubstantiellement lié au génocide. Le génocide se tisse avec sa négation (Yves TERNON). Lire la presse occidentale de l’époque : cfr le Journal catholique La Croix, qui est publiée en France, consulter les archives de Radio Vatican, voir les démarches de Mgr André PERRAUDIN pour protéger le régime criminel de Grégoire KAYIBANDA, voir les tournées diplomatiques de Ministres rwandais en Occident, toujours à l’époque, actions de propagande, à travers l’accusation en miroir, en référence aux attaques de Tutsis dits INYENZI, attaques qui auraient provoqué une colère ou une explosion populaire. Le pouvoir de l’époque parle d’hypothétiques raffinements de supplices qui, par le passé, auraient été infligé aux Hutus par un pouvoir dit tutsi.

Déjà, à l’époque donc, le négationnisme est là, patent.

  1. Une obligation: Obligation, aujourd’hui, sur le plan juridique, de réprimer la négation du génocide, en référence, notamment, à la Résolution du 16 avril 2014, du C.S de de l’O.N.U, obligation de mettre en place un texte répressif, appel à la vigilance des Etats. Tirons les leçons pour : A. Légiférer, B. Eduquer. C. Extrader.
  2. L’expérience du Rwanda : mise en place d’une loi le 30/08/1996, pour sanctionner le génocide et les plus de cent mille génocidaires présumés à l’époque. On a sanctionné à travers les tribunaux dits GACACA. Le négationnisme prenant du poil de la bête, dans ce contexte, on a encore légiféré en 2003, puis en 2008, sur une loi spécifiquement attachée à la lutte contre la négation du génocide. Cette loi, qui sanctionne la seule négation publiquement produite, n’a pas été efficace, puisque la négation a lieu à l’ombre de la vie privée. Aussi pense-t-on encore à légiférer sous le rapport d’une situation de négationnisme produite dans la vie privée.

Puis le paneliste de conclure en disant que la sanction de la négation du génocide n’a pas pour visée d’entraver la liberté d’expression, elle a pour but de punir les abus du droit d’expression.

Vincent DEPAIGNE a, quant à lui, sur « La pénalisation de la négation du génocide des Tutsis à la lumière de la Décision-cadre de l’Union européenne contre le racisme et contre la xénophobie », articulé son propos autour de la perspective historique qui va de la lutte contre le racisme et contre la xénophobie à la lute contre le négationnisme sur Internet, en passant par la Décision-cadre 2008/913/JHA de l’UE sur ces matières, la mise en œuvre de la Décision-cadre et les implications en termes de droits fondamentaux.

Quant au thème spécifique portant sur « La Pénalisation, en France, de la négation du génocide des Tutsis, et sa relation avec la libre expression et l’écriture de l’histoire », le Professeur Fréderic ENCEL en a développé les différentes facettes dont nous reprenons, non certes toute la lettre, mais le seul esprit :

  1. On n’arrête pas un génocide autrement que par la force.
  2. Le négationnisme est un fléau qui prend plusieurs formes : Négation pure et simple, Minimisation grossière, Accusation en miroir, Non-désignation des victimes ou des bourreaux. Galvaudage, etc.
  1. Les démocrates et les citoyens doivent combattre le fléau du négationnisme, avec des instruments comme la Loi GAYSSOT, qu’il faut étendre à la lutte contre le négationnisme du génocide des Tutsis.
  2. Combattre le négationnisme, c’est aller au-delà des considérations politiques du génocide, et rejeter tout type de minimisation ou de justification rétrospectif.
  3. Le parlement peut et doit se servir du génocide des Tutsis pour légiférer.

Le professeur Fréderic ENCEL se situe aux antipodes du positionnement anglo-saxon, positionnement selon lequel il faut laisser parler, laisser dire, liberté d’expression, etc. Les mots tuent. Pas de licence. Que l’on pense à Hitler, à la Conférence de VANNSEE : « Qui se souvient encore du génocide des Arméniens ? »

Rapportons la batterie des questions soulevées et la panoplie des réponses apportées sous le rapport des interventions des deux salves ou des deux panels.

1a. Question : Difficulté de clarification terminologique : Quelle dénomination juridiquement consacrée doit être celle du bourreau, dans le génocide des Tutsis ? Population hutue ? Gouvernement hutu intérimaire ? Régime Hutu Power ? Cette dernière expression est, comme on le sait, le surnom, le sobriquet que sont donné les génocidaires ? On sait d’ailleurs aussi que des Twa ont été entraînés pour commettre  le génocide ?

1b. Réponse :

Dans la législation rwandaise, il y a clarification sur l’appellation, ou sur la dénomination : c’est le Gouvernement intérimaire hutu qui a été comptable de génocide. Dans un document du 21/09/1992, l’Etat-major des Forces Armées Rwandaises identifie l’ennemi : le Tutsi et tous ses sympathisants : amis hutus, étrangers mariés à des femmes tutsies, etc. Dans le projet de loi dont il est porteur, Olivier MAINGAIN parlerait, lui, de régime hutu rwandais comme auteur du génocide anti-tutsi.

2a. Question : Attention aux dénotations et aux connotations des mots : Offre-t-on aux seuls Tutsis une loi sur la lutte contre la négation du génocide qui les a décimés, ou est-ce ici toute l’humanité qui est concernée ?

2b. Réponse : Si le projet de loi est conduit jusqu’à son terme, on aura fait un geste en direction de la communauté tutsie. Mais par-delà les Tutsis, c’est non seulement aussi le peuple belge qui sera concernée, mais toute l’humanité, le génocide s’étant attaqué à cette première, en s’en prenant aux Tutsis, pour ce qu’ils sont.

3a. Question : Elucidation sur la chaîne synonymique : Génocide des Tutsis, génocide survenu au Rwanda, Génocide des Tutsis rwandais.

3b. Réponse : Toute référence ici devra préciser la victime, à savoir le Tutsi.

4a. Question : Si le projet de loi en perspective passe, il risque d’y avoir concurrences entre les victimes de génocides :

4b : Réponse : Rendons-nous à l’évidence : il y a un antisémitisme virulent, en Belgique. Il y a même une violence contre la loi de 1995, qui est considérée comme la LOI SHOAH, par les antisémites. Ces derniers partent du fait que cette loi est toujours limitée à ce seul groupe. Pourquoi les seuls Juifs et pas les autres ? Il y a là concurrence, de facto.

Il y a d’autant plus concurrence des victimes que, à son stade actuel, le projet de loi en perspective conduirait à une loi au rabais. De fait, toute action ici ne serait engagée que par le Procureur, qui devrait tout motiver. Il serait difficile de rendre opérationnelle la loi en vue, quand on sait déjà que le Parquet ploie sous d’innombrables dossiers. Le projet est d’ailleurs au frigo, depuis 2015. Le projet de loi de 2016 n’a pas beaucoup de chances d’aller jusqu’à bon port.

5a. Question : Y a-t-il possibilité ou chance que le projet de loi d’Olivier MAINGAIN aboutisse ?

5b : Réponse : Il y a deux versions de lois : celle de 2007 et celle de 2017. Dans cette dernière, a été radiée l’expression de Hutu Power pour désigner le bourreau. Entretemps, il y a eu la réaction de JAMBO ASBL. Copie de la demande de JAMBO ASBL a été remise au député Gilles FOREST, le porteur du nouveau projet de loi. Dans la deuxième version, il n’y a aucune trace du bourreau, alors que force est de nommer l’auteur du génocide en cause, de nommer bourreaux et victimes.

  1. Suggestion est faite d’une loi générique, pour la lutte contre la négation de la Shoah et celle du génocide des Tutsis, pour sortir de la polémique entre deux lois. 7. La question est posée de savoir si le Gouvernement rwandais s’intéresse à la réconciliation. Réponse est donnée, selon laquelle une politique de réconciliation a été mise en place ; elle se révèlerait même prometteuse. 8. Présentation, par Félicité ILYAMUKURU, du livre qu’elle vient de publier : L’ouragan a frappé NYUNDO. Il s’agit de la localité où elle a été rescapée, sur les dépouilles des siens, un de ses frères exceptés.

L’auteure en profite pour signaler que débats et combats sur la désignation de l’auteur du génocide frise le cynisme, au regard de la situation d’évidence : « Nous victimes, nous connaissons les bourreaux. » Un peu de décence donc : parce que leurs pères sont encore en vie, certains des fils et des filles des bourreaux spéculent sur la dénomination de nos assassins.

Le colloque, qui avait commencé à 9 h 31’, a pris fin à 13 h, après s’être déroulé dans une atmosphère d’une scientificité, d’un professionnalisme et d’une technicité à la hauteur des enjeux liés au projet de mise en place d’une loi sur la lutte contre la négation d’un génocide qui, pour sa reconnaissance, ne peut que faire l’objet d’un consensus universel.

Jean MUKIMBIRI

Rapporteur